Retour à notre Tipasa

Je redécouvrais chaque année avec la même intense joie ce lieu. Cette fois, avec le récent décès de ma maman, ce périple était particulier, il avait le goût d’un pélerinage: cette jolie ville devenait mon unique ancrage à mes plus doux souvenirs, revoir mon seul lien désormais, mon charismatique parrain. Le mot parrain prenait soudainement tout son sens.
Dans ce train, même les paysages qui défilent allument en moi le même émerveillement d’apercevoir entre deux tunnels, cette étendue bleue azur calme et rassurante.Chaque quai avec les gens qui attendent dans des tenues estivales est une douce réminiscence, le sentiment que je reviens chez moi, dans mon paradis protecteur, là où rien ne peut ternir l’éternelle lumière qui m’habite.
Le soleil brûle d’un feu qui brunit ma peau, la chaleur ici m’est caressante, les bancs ombragés avec les petits vieux qui discutent me ravissent …
La temporalité y est différente. Je savoure chaque instant passé, je les emmagasine telles des briques d’énergie dans mon corps et mes yeux pour pouvoir traverser les épreuves à venir jusqu’à mon prochain retour.
Le chuchotement du tendre ressac de la mer me détend,allongée sous une palmeraie, j’adore écouter le chant joyeux des enfants italiens qui jouent.
Même le café matinal sur une terrasse à proximité du marché couvert où je déambulais petite a une autre saveur, celle de l’insouciance absolue. Je connais par coeur tous les trésors cachés de cette ville de Menton oùj ‘ai grandi chaque été de ma vie, ses parvis, ses escaliers où les petits galets qui cognent ma plante des pieds réveillent en moi mon enfance si heureuse ici.
La méditerranée étincelante est mon salut, mon refuge.
Les odeurs de pichades et de petits farcis m’apaisent, le jaune des fleurs de courge m’éblouit et la glace à la fleur de lait et à la pistache excitent mes papilles. Les interpellations bruyantes et la gesticulations des habitants me fascinent. Ici, ils vivent autrement, dans la gaité que leur assure le ciel bleu quotidien.
Chaque moment passé ici me ressource et m’emplit d’une joie profonde.
Et aujourd’hui je m’aperçois que j’ai réussi à perpétuer exactement les mêmes souvenances sensorielles à mon fils, le même amour inconditionnel pour cette dernière ville de France avant la joyeuse Italie, le même « Eté invincible ».
Il reviendra, à son tour, sur cette terre, son Tipasa, retrouver cette source de joie quand j’aurai disparu, maman…

« Je redécouvrais à Tipasa qu’il fallait garder intactes en soi une fraîcheur, une source de joie, aimer le jour qui échappe à l’injustice, et retourner au combat avec cette lumière conquise. Je retrouvais ici l’ancienne beauté, un ciel jeune, et je mesurais ma chance, comprenant enfin que dans les pires années de notre folie le souvenir de ce ciel ne m’avait jamais quitté.

C’était lui qui pour finir m’avait empêché de désespérer.

Le monde y recommençait tous les jours dans une lumière toujours neuve.

Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible. »

A. Camus, « Retour à Tipasa », L’Été (1953)

Retour à mon Tipasa

Le souffle de l’air chaud gagne mes narines.
Entre deux tunnels, je l’aperçois
cette immensité aux reflets étoilés qui m’embrasse.
Elle réveille mon insouciance,
les moments chéris de mon enfance.
Mon impatience à la pénétrer grandit,
me noyer dans sa salinité pour me retrouver.
Je trépigne, mes souvenirs s’agitent.
Et là, elle apparaît enfin, éclatante,
cette jolie ville suspendue colorée,
le phare de ma vie, Menton.
Mon émotion est intacte, je respire ma joie.

Virginie Papin